PartnerShip : En quoi ces 4 années de crise ont-elles fait évoluer la sécurité ?
Vincent Coquelet : La crise a impliqué une baisse générale de moyens, ce qui dans certains cas a pu engendrer une augmentation des pannes, et donc une exposition aux risques plus importante. Ce fut notre plus gros challenge. Nous exigions des standards difficiles à tenir en période de moyens limités, bien que la sécurité ait toujours été notre priorité. Mais aujourd'hui, nous sommes revenus à des standards opérationnels quasiment identiques à ceux d’avant-crise, avec le plan d’investissement dans les Surfers de Bourbon Mobility.
Patrick Lièvre : Cette crise nous a poussés à changer nos modèles pour trouver d'autres moyens de maintenir nos standards de sécurité. Nous sommes revenus à des outils plus basiques, simples mais efficaces, comme les Safety Posts1, qui rencontrent un grand succès aussi bien auprès de nos équipes que de nos clients, ou encore les Life Saving Rules. Nous développons en outre notre programme Smart shipping qui sert aussi la sécurité : la digitalisation des tâches administratives chronophages permet ainsi aux équipages de rester concentrés sur l’évaluation et la prévention du risque.
PartnerShip : Depuis 2012 et malgré la crise, les résultats de BOURBON en matière de sécurité sont bien meilleurs que la moyenne de l'IMCA. A quoi attribuez-vous cela ?
Olivier Vinoche : Les équipages restent très investis et notre SMS (Safety Management System) est une base solide, un outil robuste pour l'aide à l'application de la sécurité à bord. Ainsi, sur les 5 premiers mois de l'année 2019, Bourbon Subsea Services n'a eu aucun incident enregistrable a déplorer !
Patrick Lièvre : Pour moi, c'est le signe d'une maturité réelle de l'entreprise. Mais il ne faut pas se reposer sur ces données car nos résultats ont été moins bons en 2018. Nous devons toujours rester humbles et mobilisés.
Vincent Coquelet : Nous avons encore du chemin à parcourir pour atteindre une culture de sécurité optimale, mais nous ne sommes pas des débutants. La sécurité fait partie de l'ADN de BOURBON depuis de nombreuses années. Et la majeure partie des équipes travaillent très bien, dans le respect des procédures.
PartnerShip : BOURBON a mis l’emphase sur les visites du management à bord et sur les bases. Pourquoi avoir priorisé ce mode d’action ?
Olivier Vinoche : Effectivement, chaque manager doit effectuer au moins 4 visites par an. C'est beaucoup plus que les années précédentes et cela permet une meilleure communication avec les opérationnels, plus de contact avec le terrain, la remontée des informations plus rapidement et la meilleure implication des équipes.
Vincent Coquelet : L'implication du top management est fondamentale dans la politique de sécurité. Cela montre que la sécurité n'est pas uniquement de la responsabilité du safety manager, c'est l'affaire de tous ! Nous devons aussi aller au-delà de la sanction pour être davantage dans l'éducation. Il faut que les équipes appliquent la politique de sécurité parce qu'elles y croient et non parce qu'elles y sont contraintes. C'est tout l’intérêt des visites de terrain par le management.
Olivier Vinoche : J'ajouterais que la pression qui peut être mise sur les équipes est contre-productive car elles n'osent plus ensuite faire remonter l'information en cas d'incident. D'où la politique d'éducation que nous menons.
" L'implication du top management est fondamentale dans la politique de sécurité. Cela montre que la sécurité n'est pas uniquement de la responsabilité du safety manager, c'est l'affaire de tous !"
Vincent coqueletHSE MANAGER - BOURBON MOBILITY
PartnerShip : La réorganisation de BOURBON en trois compagnies autonomes de BOURBON a-t-elle été bénéfique pour le management de la sécurité ?
Patrick Lièvre : La segmentation a permis de se focaliser sur une seule activité et nous permet ainsi de mieux nous concentrer sur les risques propres à notre segment. Les liens ne sont pas rompus pour autant et nous nous réunissons très régulièrement pour travailler ensemble de manière proactive.
Vincent Coquelet : Pour les Surfers, ce changement a été extrêmement bénéfique avec une entité dédiée à nos problématiques. Nous avons des standards communs BOURBON, tout en étant plus focalisés et donc plus efficaces sur nos cœurs de métier respectifs. Les interlocuteurs sont également mieux définis.
PartnerShip : Souhaitez-vous faire passer un message particulier aux équipages ?
Olivier Vinoche : Que nous sommes là pour les soutenir. Qu'ils doivent poursuivre leurs efforts, malgré les difficultés. Les équipes arrivent à effectuer des opérations remarquables en toute sécurité grâce à la maîtrise des risques et à la collaboration des clients, qui est fondamentale.
Vincent Coquelet : Les outils dédiés à la sécurité sont là pour aider l'homme, pas pour le remplacer. Ils ne doivent pas être perçu comme une contrainte mais bien comme un support pour mieux comprendre les risques et pouvoir y faire face.
Patrick Lièvre : Grâce aux efforts des bords, la majeure partie des opérations se passent bien et on ne l'oublie pas. Au-delà de nos propres actions, il faut garder à l'esprit que la sécurité n'est pas un travail unilatéral : clients et prestataires de services doivent travailler ensemble et en toute transparence pour construire une culture sécurité globale.
1Safety Post - Ce support original (format bande dessinée), basé sur des événements réels, a été développé pour engager la réflexion individuelle et en équipe en initiant des discussions sur des accidents et sur les moyens de les éviter. Le Safety Post s'est imposé comme un outil de sécurité majeur, adopté par tous les employés de BOURBON.
3 questions à ... Nicolas Brunet, Senior VP HSE / EP de Total
PartnerShip : Comment TOTAL parvient-il encore à progresser en matière de sécurité ?
Nicolas Brunet : D'abord et avant tout, il faut un engagement sans faille de la part du management et en particulier de la direction, c’est l’élément clé. La performance HSE démarre au sommet de notre organisation avec notre CEO Patrick Pouyanné, dont la vision fixe cette valeur comme fondamentale pour le reste de l'entreprise. Cette valeur se décline ensuite au sein du groupe, de la branche EP avec Arnaud Breuillac et ensuite de ses directions et de ses divisions via notre politique HSE. Clairement, la sécurité est la toute première responsabilité opérationnelle de nos business units et de nos filiales. Elle repose à la fois sur le management et sur le leadership. Nous en avons fait la valeur fondamentale de notre organisation, car on ne transige pas avec une valeur ! Elle se vit au quotidien (avec le rituel des safety moments ou les Perfect Day par exemple) car chaque jour sans accident est une victoire.
PartnerShip : Vous semblez opposer les notions de management et de leadership. Comment les distinguez-vous ?
N. B. : Je ne les oppose pas, elles sont complémentaires. En revanche je confirme qu’en matière de sécurité, un manager et un leader ne sont pas tout à fait sur le même terrain. Selon moi, le rôle du management consiste à affronter la complexité, à fixer des cadres et à s’assurer qu’ils sont respectés, à mesurer, à se concentrer sur les systèmes, à suivre la vision, à organiser les collaborateurs, etc. concentré sur les objectifs. Le leadership consiste à faire face, voire à initier le changement, à communiquer et à livrer la vision, l'inspiration... Plus que sur les objectifs matériels ou mesurables, il est centré sur les personnes et leur comportement, leur évolution dans un processus d’amélioration continue. Son action doit être portée par de fortes valeurs humaines. Un dirigeant, un responsable, un chef d’équipe doit pouvoir se comporter en leader, en manager ou en coach selon les besoins et l’environnement de travail.
PartnerShip : BOURBON a priorisé les visites sur site, avec des résultats immédiats en termes de résultats sécurité. Que pensez-vous de la visibilité du management sur le terrain ?
N. B. : C’est essentiel et je ne cesse de porter ce message à l’ensemble des équipes. La gestion de la sécurité passe par une parfaite connaissance des hommes, du terrain et par un partage des bonnes pratiques comme des erreurs à ne plus commettre. Pour cela, il faut se rendre sur les sites, parler non seulement aux chefs d’équipe mais aussi à tous les collaborateurs, transmettre autant que possible cette culture de la sécurité, l’engagement nécessaire pour l’acquérir et convaincre de la nécessité du respect des procédures. Etablir cette proximité, c’est aussi et surtout faire preuve de respect envers les hommes, leur montrer que l’on s’intéresse à eux, que l’on a de la considération pour leur travail quotidien, pour leur rôle au sein de l’entreprise et du projet. On ne peut parler sécurité si l’on n’est pas attaché aux personnes et ce quel que soit la société pour laquelle nous travaillons. C’est tous ensemble que l’on doit progresser.